Ελευθερία της συνένωσης και μειονότητες
Σύνθεση: Λ. Λουκαΐδης, Πρόεδρος, Χρ. Ροζάκης, N. Vajic, Kh. Hajiyev, D. Spielmann, S.E. Jebens, G. Malinverni, Δικαστές
Νομικοί παραστάτες: Α. Μπεκίρογλου – Μ. Απέσσος (Σύμβουλος Ν.Σ.Κ.), Κ. Γεωργιάδης (Πάρεδρος Ν.Σ.Κ.) Μ. Παπίδα (Δικαστική αντιπρόσωπος Ν.Σ.Κ.)
Η απόρριψη του αιτήματος εγγραφής στο Πρωτοδικείο σωματείου με την επωνυμία «Σύλλογος Νεολαίας Μειονότητας Ν. Έβρου» συνιστά μη ανεκτό περιορισμό της ελευθερίας της συνένωσης, ως μέτρο δυσανάλογο και μη αναγκαίο σε μια δημοκρατική κοινωνία.
[…]
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants résident dans le département d’Evros (Thrace occidentale).
6. Le 15 mars 1995, les requérants, ainsi que dix-neuf autres personnes appartenant à la minorité musulmane de la Thrace occidentale, décidèrent de créer une association à but non lucratif (σωματείο), dénommée « Association de la jeunesse de la minorité du département d’Evros » (Σύλλογος Νεολαίας Μειονότητας Ν. Εβρου). Le siège de l’association fut fixé à Goniko, un village du même département. Selon l’article 2 de son statut, l’association avait pour but « a) l’exploitation des possibilités intellectuelles de la jeunesse minoritaire, b) le maintien, la protection et la promotion des traditions folkloriques et des coutumes de la minorité, c) la contribution aux activités intellectuelles, culturelles et autres de la minorité, d) le développement des relations intellectuelles, culturelles et personnelles entre ses membres d’un côté et les membres de la minorité de l’autre, e) la culture et la protection de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, des valeurs humanitaires, de l’amitié entre les peuples en général et en particulier entre le peuple grec et le peuple turc, f) le divertissement des membres de l’association ».
7. Le 14 décembre 1995, les requérants, qui constituaient le comité directeur provisoire de l’association, demandèrent, en vertu de l’article 79 du code civil, l’enregistrement de leur association auprès du tribunal de première instance d’Alexandroupoli.
8. Par jugement no 58/1996 en date du 21 mars 1996, le tribunal, rappelant au préalable qu’en vertu duTraité deLausanne, seule une minorité musulmane, et non une minorité turque, a été reconnue dans la région de la Thrace occidentale, rejeta la demande par les motifs suivants :
« Le titre [de l’association], est ainsi formulé qu’il risque d’induire des tiers en erreur quant à l’origine de ses membres (…). Car la phrase « jeunesse de la minorité du département d’Evros » ne précise pas s’il s’agit d’une minorité religieuse reconnue par le droit grec ou s’il s’agit d’une minorité ethnique qui n’est pas reconnue par le droit grec. Selon ce dernier, tous les citoyens qui habitent en Grèce et qui ont acquis de quelque manière que ce soit la nationalité grecque sont appelés et sont des citoyens grecs. Comme il a été rappelé ci-dessus, le Traité de Lausanne (…) reconnaît seulement une minorité religieuse et non pas une minorité ethnique. Dès lors, l’utilisation [du titre litigieux] crée certainement une confusion quant au but réellement poursuivi par l’association et ses aspirations générales et est donc contraire à l’ordre public. Car, il crée l’impression que sur le territoire grec sont installés de façon permanente, outre les Grecs, des ressortissants d’un pays étranger et en particulier de la Turquie que ceux-ci, moyennant la création de l’association, n’ont pas pour but de servir les intérêts de la minorité religieuse musulmane du département d’Evros qu’en revanche, tel qu’il ressort également de l’article 2 du statut de l’association, ils sous-entendent clairement qu’il existe une minorité ethnique dont l’association veut protéger les droits et libertés. Or ces derniers sont entièrement protégés par la Constitution et les lois grecques. »
9. Le 14 août 1997, les requérants interjetèrent appel de cette décision. L’audience eut lieu le 8 mai 1998.
10. Le 8 juillet 1998, la cour d’appel de Thrace, faisant siennes les conclusions du tribunal de première instance, confirma la décision attaquée (jugement no 423/1998).
11. Le 29 novembre 2000, les requérants se pourvurent en cassation auprès du greffe de la cour d’appel. Le 10 janvier 2002, ils déposèrent leur pourvoi devant la Cour de cassation et demandèrent la fixation d’une date d’audience. Celle-ci eut lieu le 17 mai 2002.
12. Le 25 juin 2002, la Cour de cassation considéra que la motivation du jugement attaqué n’était ni suffisante ni claire et que la cour d’appel n’avait pas pleinement établi que le refus d’inscrire au registre l’association litigieuse était une mesure nécessaire pour l’ordre national ou public il était donc impossible de contrôler si les dispositions internes pertinentes, ainsi que l’article 11 de la Convention avaient été correctement appliqués en l’espèce. Dès lors, la haute juridiction cassa le jugement attaqué et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Thrace pour qu’elle l’examine à nouveau dans une nouvelle composition (arrêt no 1241/2002). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 5 juillet 2002.
13. Le 12 février 2003, les requérants demandèrent la fixation d’une date d’audience devant la cour d’appel de Thrace. Celle-ci eut lieu le 9 mai 2003.
14. Le 24 juin 2003, la cour d’appel de Thrace rejeta le recours. Elle considéra que le titre de l’association et notamment la phrase « jeunesse de la minorité » n’était pas formulé de façon claire et sans équivoque, mais, au contraire, qu’il créait « des confusions et des doutes quant à la question de savoir si l’association représente une minorité religieuse (musulmane) ou ethnique (turque), ce dernier étant contraire à l’ordre juridique interne et donc illégal » (arrêt no 324/2003).
15. Le 11 août 2003, les requérants se pourvurent en cassation, en invoquant, entre autres, l’article 11 de la Convention. Le 10 décembre 2003, ils déposèrent leur pourvoi devant la Cour de cassation et demandèrent la fixation d’une date d’audience. Celle-ci fut initialement fixée au 19 novembre 2004, puis reportée à deux reprises. Elle eut lieu le 2 décembre 2005.
16. Le 10 janvier 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. La haute juridiction se livra tout d’abord à une longue analyse, tendant à démontrer que les dispositions du droit interne réglementant les associations n’étaient pas contraires aux articles 9, 10, 11 et 14 de la Convention, en faisant également référence aux arrêts Gorzelik et autres c. Pologne et Sidiropoulos et autres c. Grèce de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Elle se référa également au Traité de Lausanne, « qui mit un terme à toute demande et à toute aspiration de revendications territoriales, en finalisant ainsi les frontières entre la Grèce et la Turquie » et « qui reconnut la présence en Thrace occidentale des citoyens grecs musulmans ». Faisant siennes les conclusions de la cour d’appel, la Cour de cassation considéra que l’arrêt attaqué avait correctement interprété et appliqué les dispositions pertinentes du droit interne et l’article 11 de la Convention. Elle ajouta que le refus d’enregistrer l’association était proportionné aux buts légitimes poursuivis et que ses membres avaient la possibilité de créer une association « portant un titre qui ne serait pas trompeur au sujet de leur identité » (arrêt no 58/2006). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 1er février 2006.
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EN DROIT
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II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
32. Les requérants se plaignent qu’en refusant d’enregistrer leur association, les juridictions nationales ont porté atteinte à leurs droits garantis par l’article 11 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »
A. Sur la recevabilité
33. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
34. Le Gouvernement se livre à un long rappel de la jurisprudence de la Cour sur l’article 11, puis du droit interne pertinent et souligne que la liberté d’association n’est pas absolue. Invoquant le Traité de Lausanne, qui reconnaît seulement une minorité religieuse et non pas une minorité ethnique sur le territoire grec, il affirme que les autorités nationales ont à bon droit refusé d’enregistrer l’association des requérants, car son titre créait la confusion et le doute quant à l’appartenance de ses membres à une minorité religieuse ou ethnique. Selon le Gouvernement, rien n’interdit aux requérants, ni à tous les autres ressortissants grecs de religion musulmane, de créer une association qui respecte les conditions de légalité et dont le titre ne crée pas d’ambigüité sur l’identité et les buts de ses membres. Le Gouvernement conclut que, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposent, en particulier lorsqu’il s’agit de questions touchant à l’ordre public, les juridictions grecques ont en l’espèce satisfait au critère de proportionnalité.
35. Les requérants répondent que le Traité de Lausanne n’interdit pas aux minorités de se définir par l’épithète « turc ». Selon eux, tous les arguments avancés par les juridictions nationales et le Gouvernement sont dénués de fondement et ne correspondent pas à la notion de « besoin social impérieux ». Il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’ils aient voulu porter atteinte à l’ordre public grec et que le refus d’enregistrer leur association fût une mesure nécessaire dans une société démocratique.
2. L’appréciation de la Cour
a) Principes généraux
36. La Cour souligne que le droit qu’énonce l’article 11 inclut celui de fonder une association. La possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d’agir collectivement dans un domaine d’intérêt commun constitue un des aspects les plus importants de la liberté d’association, sans quoi ce droit se trouverait dépourvu de toute signification. En effet, si la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d’autres fins, notamment la protection du patrimoine culturel ou spirituel, la poursuite de divers buts sociaux ou économiques, la recherche d’une identité ethnique ou l’affirmation d’une conscience minoritaire, sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 92, CEDH 2004‑I).
37. La manière dont la législation nationale consacre cette liberté et l’application de celle-ci par les autorités dans la pratique sont donc révélatrices de l’état de la démocratie dans le pays dont il s’agit. Assurément les Etats disposent d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités d’une association avec les règles fixées par la législation, mais ils doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du contrôle de la Cour.
38. En conséquence, les exceptions visées à l’article 11 appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à la liberté d’association. Pour juger en pareil cas de l’existence d’une nécessité au sens de l’article 11 § 2, les Etats ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite, laquelle se double d’un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles rendues par des juridictions indépendantes (Gorzelik et autres c. Pologne, précité, § 96).
39. Lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse, compte tenu de l’ensemble de l’affaire, pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt du 10 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, p. 1614, § 40).
b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
40. En l’occurrence, il n’est pas contesté par les parties que le refus des tribunaux grecs d’enregistrer l’association des requérants s’analyse en une ingérence des autorités dans l’exercice du droit à la liberté d’association de ces derniers. Cette ingérence était « prévue par la loi », les articles 79 à 81 du code civil permettant aux tribunaux de rejeter la demande d’enregistrement d’une association lorsqu’ils constatent que la validité des statuts de l’association est sujette à caution. Par ailleurs, la Cour admet que l’ingérence litigieuse visait un but légitime au regard de l’article 11 § 2 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre public.
41. Dès lors, il reste principalement à examiner si l’ingérence litigieuse était « nécessaire, dans une société démocratique » pour atteindre le but légitime poursuivi. La Cour rappelle sur ce point que l’adjectif « nécessaire » implique un « besoin social impérieux » (Gorzelik et autres c. Pologne, précité, § 95).
42. La Cour note, en premier lieu, que le refus d’enregistrer l’association des requérants fut essentiellement motivé par le souci de couper court à l’intention qu’on leur prêtait de promouvoir l’idée qu’il existe en Grèce une minorité ethnique et que les droits de ses membres ne sont pas pleinement respectés. Autrement dit, la mesure litigieuse s’appuya sur une simple suspicion quant aux véritables intentions des fondateurs de l’association et aux actions que celle-ci aurait pu mener une fois qu’elle aurait commencé à fonctionner. Toutefois, les intentions des requérants n’ont pas pu en l’espèce être vérifiées par rapport à la conduite de l’association dans la pratique, puisque celle-ci n’a jamais été enregistrée.
43. Rappelant qu’aux termes de sa jurisprudence, l’administration des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I), la Cour n’est pas pour autant satisfaite que les juridictions saisies se soient contentées du seul titre « Association de la jeunesse de la minorité du département d’Evros », pour conclure à la dangerosité de l’association pour l’ordre public.
44. De plus, s’il ne lui appartient pas d’évaluer le poids accordé par l’Etat défendeur aux questions relatives à la minorité musulmane en Thrace occidentale, la Cour pense toutefois que, à supposer même que le véritable but de l’association fût de promouvoir l’idée qu’il existe en Grèce une minorité ethnique, ceci ne saurait passer pour constituer à lui seul une menace pour une société démocratique cela est d’autant plus vrai que rien dans les statuts de l’association n’indiquait que ses membres prônaient le recours à la violence ou à des moyens antidémocratiques ou anticonstitutionnels. La Cour tient à rappeler sur ce point que la législation grecque n’institue pas un système de contrôle préventif pour l’établissement des associations à but non lucratif : l’article 12 de la Constitution précise que la création d’associations ne peut pas être soumise à une autorisation préalable quant à l’article 81 du code civil, il autorise les tribunaux à exercer un simple contrôle de légalité en la matière et non un contrôle d’opportunité (voir paragraphes 18 et 19 ci-dessus).
45. Enfin, la Cour ne saurait exclure que l’association, une fois fondée, aurait pu, sous le couvert des buts mentionnés dans ses statuts, se livrer à des activités inconciliables avec ceux-ci et troublantes pour l’ordre public. Or, même si une telle éventualité était confirmée, les autorités ne se trouveraient pourtant pas désarmées : en vertu de l’article 105 du code civil, le tribunal de grande instance pourrait ordonner la dissolution de l’association si elle poursuivait par la suite un but différent de celui fixé par les statuts ou si son fonctionnement s’avérait contraire à la loi, aux bonnes mœurs ou à l’ordre public (voir paragraphe 19 ci-dessus).
46. A la lumière de ce qui précède, la Cour ne voit guère quel était le « besoin social impérieux » pour refuser d’enregistrer l’association des requérants et conclut que la mesure incriminée était disproportionnée aux objectifs poursuivis. Dès lors, il y a eu violation de l’article 11.
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Για το πλήρες πρωτότυπο κείμενο της απόφασης στα γαλλικά (Ευρωπαϊκό Δικαστήριο των Δικαιωμάτων του Ανθρώπου):
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/portal.asp?sessionSimilar=55150150&skin=hudoc-en&action=similar&portal=hbkm&Item=1&similar=frenchjudgement
Για την επίσημη μετάφραση της απόφασης στα ελληνικά (Νομικό Συμβούλιο του Κράτους): http://www.nsk.gr/edad/ee530.pdf