Les droits sociaux fondamentaux en tant que composante de la citoyennete nationale et europeenne. Droits sociaux fondamentaux, 2021-2022

Salomé Lelou, Master Franco-Hellénique

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Introduction:

« En ces temps de changement, et conscients des préoccupations de nos citoyens, nous affirmons notre attachement au programme de Rome, et nous nous engageons à œuvrer à la réalisation […] [d’]une Europe sociale : une Union qui, en s’appuyant sur une croissance durable, favorise le progrès économique et social ainsi que la cohésion et la convergence, tout en veillant à l’intégrité du marché intérieur ; une Union qui prenne en compte la diversité des systèmes nationaux et le rôle essentiel des partenaires sociaux ; une Union qui promeuve l’égalité entre les femmes et les hommes et qui œuvre en faveur de droits et de l’égalité des chances pour tous ; une Union qui lutte contre le chômage, les discriminations, l’exclusion sociale et la pauvreté ; une Union où les jeunes bénéficient du meilleur niveau d’éducation et de formation et peuvent étudier et trouver un emploi sur tout le continent ; une Union qui préserve notre patrimoine culturel et favorise la diversité culturelle ». Il s’agit de la Déclaration de Rome du 25 mars 2017 prononcée par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne (ci-après UE) lors du 60ᵉ anniversaire des Traités de Rome. Chantier majeur des années 1980, l’Europe sociale figurait parmi les priorités de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne. En 1989, sous son égide, l’UE a notamment adopté la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Celle-ci “fixe les grands principes sur lesquels se fonde le modèle européen du droit du travail” et défend “un socle de principes minimaux”. Cet élan s’était notablement essoufflé avec la crise financière de 2008 et le dispositif mis en place pour y pallier qui consistait en des réformes pour maintenir la bonne santé économique et budgétaire des États membres. Depuis 2017, on assiste à une recrudescence de la question sociale dans l’Union qui s’illustre, au côté de la Déclaration de Rome, par l’adoption du socle européen des droits sociaux. Bien qu’il n’ait pas de valeur juridique contraignante, il permet de fixer à l’Union un cadre commun et des objectifs en matière sociale. Sont formulés vingt principes qui s’axent autour de l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, les conditions de travail équitables, la protection et l’inclusion sociales.

La dimension sociale étant au cœur des préoccupations européennes, il est pertinent de s’interroger sur les droits sociaux fondamentaux et, pour saisir le sujet qui nous intéressera, de définir cette notion. Tout d’abord, il faut apporter un éclairage sur ce que sont les droits sociaux.

Pour Mme Claire Marzo, les droits sociaux ont une dimension positive qui est la recherche du bien-être qui passe par la garantie de ressources matérielles essentielles, la reconnaissance d’un certain statut social ou encore la possibilité d’un agir commun1. Il s’agit donc de prendre en compte la situation sociale des individus. Dans cette perspective, les droits sociaux sont, parfois, assimilés à des droits-créances et mis en parallèle avec les libertés individuelles en ce que ces dernières sont opposables à l’État tandis que les droits sociaux sont exigibles de lui. Ainsi, les premiers seraient des « droits de » à l’instar de la liberté d’expression qui est le droit de s’exprimer librement. Au contraire, les droits sociaux seraient « des droits à » tel que le droit à la protection sociale. L’idée est ici la nécessité d’une intervention positive de l’État pour concrétiser et donc rendre effectif ces droits sociaux. Les libertés fondamentales et les droits sociaux reflètent la distinction posée entre, d’un côté, les droits civils et politiques dits droits de première génération et, de l’autre, les droits économiques, sociaux et culturels, dits de seconde génération, comme le démontre les Pactes internationaux de 19662 ou encore la Convention européenne des droits de l’Homme et son homologue socio-économique, la Charte sociale européenne. Néanmoins, la distinction est à nuancer puisque les droits sociaux sont un complément indispensable aux libertés, ces dernières ne peuvent être exercées sans un minimum de protection sociale. De surcroît, ces deux catégories de droits forment un tout indivisible que l’on appelle droits fondamentaux. Le terme fondamental interpelle ici et conduit à s’interroger sur le fait de savoir d’où les droits sociaux tirent leur caractère fondamental. La fondamentalité des droits renvoie à l’idée de fondement, de socle, dans cette mesure, les droits sociaux fondamentaux seraient des droits inhérents et fondateurs d’un système juridique. Ainsi, ils constitueraient la source d’autres droits et principes et bénéficieraient d’une valeur juridique suprême. On les retrouve donc dans les constitutions nationales ou encore dans les textes internationaux.

Après avoir éclairci la notion de droits sociaux fondamentaux, il est utile de se pencher sur leur rapport avec la citoyenneté nationale et européenne et donc de, encore une fois, déterminer le sens de ces concepts. En s’appuyant sur le fondement juridique de la citoyenneté européenne, l’article 9 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (ci-après TUE), « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Incontestablement, l’octroi de la citoyenneté de l’Union relève d’une décision qui ne lui appartient pas, celle-ci va de pair avec la nationalité d’un État membre. En cela, un lien consubstantiel existe entre la citoyenneté et la nationalité. Dans le même temps, la citoyenneté européenne ne se rattache pas à une nationalité européenne. En effet, la nationalité traduit le lien juridique et politique qui unit l’individu à l’État et donc décrit l’appartenance de celui-ci à la population constitutive d’un État. La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE), elle-même, exprime lien de nationalité comme « rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs »3. Il est donc aisé de comprendre que la nationalité ne peut être rattachée à l’Union qui n’est pas un État. Le terme de citoyenneté est donc plus adapté, il n’en pas moins épineux à définir. Pour en revenir aux racines latines de la citoyenneté, « civitas » donnait au « civis »un droit de la cité qui en tiraient des droits et devoirs. De là, quelques caractéristiques ressortent, premièrement, il s’agit d’un statut auquel est attaché la reconnaissance de droits et devoirs par une entité politique. Ensuite, la citoyenneté renvoie à une communauté de nature politique et non à un État. Par conséquent, l’idée de citoyenneté correspond au droit de participer aux décisions relatives à la communauté politique, participer à l’exercice du pouvoir politique. Cette définition doit donc être transposée à l’échelle nationale et européenne. En raison des liens inextricables entre citoyenneté européenne et nationale, il conviendra de circonscrire le développement à la citoyenneté européenne qui influe sur la citoyenneté nationale.

La citoyenneté européenne, comparativement aux traités fondateurs de l’Union à dimension économique, est relativement récente. Politiquement, l’idée que l’unification européenne conduise à la constitution progressive d’un seul peuple est à trouver dans la racine même du projet européen. Juridiquement, en revanche, cette idée a eu beaucoup plus de mal à faire son chemin. Dès les années 1970, les premières réflexions politiques pour une citoyenneté européenne apparaissent. Il faudra néanmoins attendre le traité de Maastricht de 1992 pour que soit consacré le statut de citoyen européen qui marque une étape supplémentaire à l’intégration européenne. La citoyenneté européenne change le paradigme de la construction de l’Union, cette dernière n’est plus seulement un marché unique, elle devient une communauté de citoyens disposant de droits et devoirs. Elle est conçue comme un contrepoids politique et démocratique à l’intégration marchande, même si les droits qu’elle revêt contribue à faire prospérer cette dimension économique. Elle marque aussi symboliquement la prise en compte de l’individu et pose la question de l’instauration d’un modèle social européen.

La pandémie a, plus encore, mis en exergue les difficultés persistantes dans l’effectivité des droits sociaux fondamentaux et a paralysé notre liberté de circulation. De cette manière, elle a poussé à repenser l’Europe sociale.

Dans ce contexte, il n’est pas vain de se demander si l’avènement du statut de citoyen de l’Union a contribué au rayonnement des droits sociaux fondamentaux dans l’Union européenne ?

En guise de réponse, il conviendra, dans un premier temps, de s’arrêter sur la construction d’une citoyenneté européenne à dimension sociale (I) dont le champ d’application a explosé peu de temps après sa consécration (II), pour enfin, connaitre, ces dernières années, un repli de la volonté libérale et socialement protectrice de la jurisprudence de la CJUE (III).

 

1MARZO Claire, La protection des droits sociaux dans les pays européens », R. I. D. C. 2011.

2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.

3 CJCE, 17 décembre 1980, Commission c Belgique, aff. 149/79.

 

Salomé Lelou
Master Franco-Hellénique

 

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